Principes de l'ICOMOS pour la preservation
et la conservation/restauration des peintures murales
(2003)
Ratifiée par la 14e Assemblée Générale de ICOMOS, à Victoria Falls, Zimbabwe, octobre 2003
Introduction et définition
Les peintures murales sont des expressions culturelles de la création humaine à travers l’histoire, depuis les origines, avec l’art rupestre, jusqu’aux œuvres d’art mural actuelles. Leur détérioration ou leur destruction, accidentelles ou intentionnelles, constituent une perte qui affectent une part importante du patrimoine culturel de l’humanité.
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La Charte de Venise (1964) pose les principes généraux de la conservation/restauration du patrimoine culturel. La Déclaration d’Amsterdam (1975), qui introduit la notion de conservation intégrée, et le Document de Nara sur l’authenticité (1994), qui aborde la diversité culturelle, complètent ces principes. Parallèlement à ces documents et des contributions complémentaires pertinentes telles que le code d’éthique ICOM-CC (1984), le Document de Pavie (1997) et les Règles Professionnelles de l’E.C.C.O. (1997), l’objectif du présent document est de fournir des principes plus spécifiques pour la protection, la préservation et la conservation/restauration des peintures murales. Le présent document met en exergue des pratiques et des principes de base universels et ne tient pas compte des questions spécifiques à des régions ou des pays qui peuvent être traitées au niveau régional ou national par des recommandations supplémentaires si cela s’avérait nécessaire.
La richesse des peintures murales repose sur la diversité des expressions culturelles, des réussites esthétiques et sur la variété des matériaux et des techniques utilisés depuis les temps anciens jusqu’à nos jours. Les articles suivants se réfèrent à des peintures créées sur des supports inorganiques, tels que le plâtre, la brique, l’argile ou la pierre, et excluent des peintures réalisées sur des supports organiques, tels que le bois, le papier ou la toile. Les matériaux composites utilisés dans de nombreux bâtiments historiques doivent recevoir un traitement particulier, hors du champ d’application du présent document. Les surfaces architecturales et les couches de finition, avec leur valeur historique, esthétique ou technique, doivent être considérées comme des composantes importantes des monuments historiques.
Les peintures murales font partie intégrante des monuments et des sites et doivent être préservées in situ. Nombre de problèmes affectant les peintures murales sont liés au mauvais état des bâtiments ou des structures, à leur mauvais usage, à l’absence d’entretien ou à de fréquentes réparations et modifications. De même que de fréquentes restaurations, des dégagements intempestifs et l’usage de méthodes et de matériaux inadaptés peuvent entraîner des dommages irréparables. Des pratiques et des qualifications professionnelles insuffisantes ou inadéquates ont conduit à des résultats fâcheux. C'est la raison pour laquelle, un document pertinent, définissant les principes corrects de conservation/restauration des peintures murales, s’avère indispensable.
Article 1 : Politique de protection intégrée
Une approche initiale et nécessaire de la protection des peintures murales, quelles que soient les cultures et les religions, exige que l’on dresse l’inventaire des monuments et des sites comportant des peintures murales, même lorsqu’elles ne sont pas visibles. Les lois et les réglementations qui régissent la protection du patrimoine culturel doivent interdire la destruction, la dégradation ou la modification des peintures murales et de leur environnement. La législation doit non seulement protéger les peintures murales, mais aussi mettre à la disposition des spécialistes des ressources pour la recherche, organiser le traitement et la surveillance professionnels et faire valoir leurs valeurs matérielles et immatérielles aux yeux du public.
Si des interventions s’avèrent nécessaires, celles-ci doivent être entreprises en pleine connaissance et avec l’accord des autorités de tutelle. Des sanctions doivent être prévues pour toute violation des réglementations. De même que des dispositions doivent prendre en compte les nouvelles découvertes et leur préservation dans l’attente d’une protection officielle. Des projets d’aménagement urbains ou d’infrastructures, tels que la construction de routes, de barrages, la transformations de bâtiments, etc. qui affecteraient des peintures murales, ne doivent pas être entrepris sans réaliser une étude d’impact préalable et sans prévoir des dispositions adéquates de sauvegarde.
Des efforts particuliers doivent être fournis, avec la coopération de différentes autorités, pour intégrer et respecter la fonction cultuelle des peintures religieuses sans compromettre leur authenticité.
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Article 2 : Investigation
Tout projet de conservation doit commencer par de rigoureuses investigations scientifiques. L’objectif est de rassembler autant d’informations que possible sur la composition de la structure et les différentes couches superposées et d’évaluer leurs dimensions historiques, esthétiques et techniques. Doivent être englobés dans de telles études toutes les valeurs matérielles et immatérielles de la peinture, ainsi que les modifications, les ajouts et les restaurations historiques.
Cela exige une approche pluridisciplinaire.
Les méthodes d’investigation doivent être autant que possible non-destructives. Une attention particulière doit être accordée aux peintures murales qui pourraient être dissimulées sous un lait de chaux, des couches de peinture, du plâtre, etc. Les préalables à tout programme de conservation sont l’investigation scientifique des mécanismes de macro- et micro-dégradations, l’analyse de matériau et le diagnostic de l’état.
Article 3 : Documentation
En accord avec la Charte de Venise, la conservation/restauration de peintures murales doit être accompagnée d’un programme défini de documentation sous la forme d’un rapport analytique et critique, comportant des illustrations : dessins, relevés, photographies, cartographies, etc. L’état des peintures, les caractéristiques techniques et formelles relevant du processus de la création et de l’histoire de l’objet doivent être connus. De plus, chaque étape de la conservation et de la restauration, chaque matériel et chaque méthode utilisés doivent être consignés. Ce rapport doit être conservé dans les archives d’une institution publique et mis à la disposition du public intéressé. Des copies de ces documents doivent aussi être conservées sur place ou confiés à la garde des responsables du monument. Il est également recommandé que les résultats des travaux soient publiés. Les documents doivent être classés par chapitres identifiables, par exemple investigation, diagnostic et traitement. Les supports traditionnels écrits et graphiques peuvent être complétés par des documents numérisés. Quelle que soit la technique utilisée, la permanence de ces archives et leur disponibilité future est toutefois de la plus haute importance.
Article 4 : Conservation préventive, entretien et gestion de site
L’objectif de la conservation préventive est de créer des conditions favorables pour limiter le délabrement et éviter le recours à des traitements curatifs inutiles afin de prolonger la durée de vie des peintures murales.
Une surveillance compétente et le contrôle de l’environnement sont tous deux des composantes essentielles de la conservation préventive. Des conditions climatiques défavorables et des problèmes d’humidité peuvent provoquer des détériorations et des attaques biologiques. Grâce à la surveillance, les premiers symptômes de délabrement de la peinture ou de la structure du support sont détectés, permettant ainsi d’éviter l’extension des dommages. Une déformation ou une défaillance de la structure, conduisant à de possibles effondrements, peuvent être détectés à un stade précoce. L’entretien régulier du bâtiment ou de la structure est la meilleure garantie pour la sauvegarde des peintures murales.
Les usages publics inappropriés et incontrôlés des monuments et des sites comportant des peintures murales peuvent engendrer des dommages à ces dernières. Cela peut impliquer une limitation des visites et, dans certains cas, la fermeture temporaire au public. Il est toutefois préférable que le public ait la possibilité de connaître et d’apprécier des peintures murales qui font partie du patrimoine culturel commun. Par conséquent, il convient d’intégrer à la gestion des sites un aménagement adapté de l’accès et de l'usage des lieux, afin de préserver, autant que possible, les valeurs authentiques matérielles et immatérielles des monuments et des sites.
Pour diverses raisons sociologiques, idéologiques et économiques, de nombreuses peintures murales, souvent situées dans des lieux isolés, sont victimes de vandalisme et de vols. Dans ces cas-là, les autorités doivent prendre des mesures préventives particulières.
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Article 5 : Conservation et restauration
Les peintures murales sont une partie intégrante du bâtiment ou de la structure. En conséquence, leur conservation doit être envisagée en même temps que la structure de l’entité architecturale et leur environment. Toute intervention sur le monument doit prendre en compte le caractère spécifique des peintures murales et les conditions de leur préservation. Toutes les interventions, telles que la consolidation, le nettoyage et la réintégration, doivent être réduits au niveau minimum nécessaire permettant d’éviter toute disparition de matériel et toute diminution d’authenticité picturale. Partout où cela est possible, des échantillons de couches stratigraphiques attestant l’histoire des peintures doivent être préservés, de préférence in situ.
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Le vieillissement naturel est un témoignage du temps et doit être respecté. Les transformations chimiques et physiques irréversibles doivent être préservées s’il est nuisible de les oter. Les restaurations précédentes, les ajouts et les couches picturales recouvrant des couches plus anciennes font partie de l’histoire des peintures murales. Ils doivent être considérés comme des témoins des interprétations et évalués de façon critique.
Toutes les méthodes et tous les matériaux utilisés dans la conservation et la restauration des peintures murales doivent prendre en compte l’éventualité de futurs traitements. L’utilisation de nouveaux matériaux et de nouvelles méthodes doit être basée sur des données scientifiques détaillées et des résultats d’essais concluants en laboratoire et sur site. Toutefois, on doit garder à l’esprit que les effets à long terme de nouveaux matériaux et de nouvelles méthodes sur les peintures murales sont inconnus et peuvent être dommageables. Par conséquent, l’utilisation de matériaux traditionnels, compatibles avec les composantes de la peinture et la structure environnante, doit être encouragée.
L’objectif d’une restauration est d’améliorer la lisibilité de la forme et du contenu des peintures murales tout en respectant la création originale et son histoire. La réintégration esthétique contribue à réduire la visibilité des dommages et doit d’abord être testée sur un matériel qui ne soit pas d’origine. Les retouches et les restitutions doivent être discernables de l’original. Tous les rajouts doivent être facilement reversibles. Trop de repeint doit être évité.
Le dégagement de couches picturales exige le respect de la situation historique et doit tenir compte de l’évaluation des pertes éventuelles. Cette opération ne devrait être effectuée qu’après étude préliminaire de leur état, de leur importance et de leur valeur et, lorsque cela est possible, sans provoquer de dommages. Les peintures récemment mises au jour ne doivent pas être exposées à des conditions défavorables.
Dans certains cas, la reconstitution de peintures murales décoratives ou de surfaces architecturales colorées fait partie d’un programme de conservation et de restauration. Cela suppose la conservation des fragments authentiques et pourrait impliquer leur recouvrement complet ou partiel par des couches protectrices. Une reconstitution bien documentée et exécutée de manière professionnelle, à l’aide de matériaux et de techniques traditionnels, témoigne de l’apparence historique de façades et de décors intérieurs.
Une direction compétente doit rester vigilante durant toutes les phases du projet de conservation/restauration et doit recevoir l’approbation des autorités compétentes. Il serait souhaitable qu’un contrôle indépendant du projet soit assuré par des autorités ou des institutions compétentes, libres de tout intérêt commercial dans le résultat final de l’opération. Les responsables des décisions de gestion doivent être nommés et les travaux doivent être mis en œuvre par des professionnels possédant des qualifications et des compétences adéquates.
Article 6: Mesures d’urgence
Dans les cas d’urgence, des mesures immédiates de sauvetage sont nécessaires pour sauvegarder des peintures murales. Les matériaux et les techniques utilisés doivent permettre un traitement ultérieur. Des mesures de conservation appropriées doivent être entreprises aussi vite que possible avec la permission des autorités compétentes.
La dépose et le transfert sont des opérations radicales, irréversibles et dangereuses qui affectent sévèrement la composition physique, la structure matérielle et les caractéristiques esthétiques des peintures murales. Ces opérations ne sont par conséquent justifiables que dans des cas extrêmes, lorsque aucune solution de traitement in situ n’est possible. Dans de telles circonstances, la décision de dépose et de transfert doit toujours être prise par une équipe de professionnels plutôt que par la personne chargée d’effectuer le travail de conservation. Les peintures déposées doivent être recollées à leurs emplacements d’origine dans la mesure du possible.
Des mesures spéciales doivent être prises pour la protection et l’entretien des peintures détachées de leur support d’origine, ainsi que pour la prévention des vols et la dispersion des œuvres.
L’application d’une couche de recouvrement dissimulant un décor existant, dans l’intention de prévenir des dommages ou la destruction par l’exposition à un environnement inhospitalier, doit être exécutée avec des matériaux compatibles avec les peintures murales et d’une manière qui permettra leur restitution ultérieure.
Article 7 : Recherche et information du public
La création de projets de recherche dans le domaine de la conservation/restauration des peintures murales est une condition essentielle à l’élaboration d’une politique de préservation durable. La recherche sur des questions susceptibles de compléter nos connaissances sur les processus de dégradation doit être encouragée. La recherche qui étendra nos connaissances sur les techniques de peintures originales, ainsi que sur les méthodes et les matériaux utilisés dans les restaurations anciennes est essentielle pour la mise en œuvre de projets de conservation adéquats. Cette recherche est également pertinente pour les disciplines connexes des arts et des sciences. Il convient de réduire au minimum les perturbations causées aux matériaux qui serviront à l’étude ou à l’obtention d’échantillons.
La diffusion de la connaissance est une caractéristique importante de la recherche, et devra être faite à destination de la communauté scientifique autant que du grand public. L’information du public contribue considérablement à la prise de conscience de la nécessité de préserver les peintures murales, même si les travaux de conservation/restauration peuvent causer des désagréments temporaires.
Article 8 : Qualifications et formation professionnels
La conservation/restauration de peintures murales est une discipline spécialisée appartenant au domaine de la préservation du patrimoine. Ces travaux exigent des connaissances, des compétences et des savoirs-faire particuliers, de sorte que les conservateurs-restaurateurs de ces biens culturels doivent recevoir une éducation et une formation professionnelle comme le recommandent le Code d’éthique du Comité conservation de l’ICOM (1984) et les associations telles que E.C.C.O. (European Confederation of Conservator-Restorers’ Organisations) et ENCoRE (European Network for Conservation-Restoration Education).
Article 9: Traditions de rénovation
Dans quelques régions du monde, les pratiques authentiques des artistes et des artisans se poursuivent par la reproduction de programmes iconographiques et de décors historiques utilisant des techniques et des matériaux traditionnels. Ces traditions, qui répondent à des exigences religieuses et culturelles et s’en tiennent aux principes de Nara, doivent être maintenues. Des savoir-faire traditionnels en matière de peintures sont également des conditions préalables pour la conservation/restauration. Cependant, bien qu’il soit important de préserver ces connaissances particulières, cela n’ implique pas que les traitements de conservation/restauration de peintures murales soient effectués par des artisans ou des artistes.
Article 10: Coopération internationale
Partager l’entretien d’un patrimoine commun est une notion acceptée au niveau national et international. Il est donc nécessaire d’encourager l’échange des connaissances et la diffusion des informations à tous les niveaux. Dans l’esprit d’une collaboration interdisciplinaire, les conservateurs - restaurateurs de peintures murales ont besoin de travailler en liaison avec leurs collègues d’autres pays et avec les institutions adéquates et les spécialistes du monde entier.
L'ébauche de ce document, sous sa forme actuelle, a été rédigée à Copenhague les 28 octobre - 1er novembre 2002, puis révisé et complété à Thessalonique le 8 et 9 mai 2003. Rapporteur : Isabelle Brajer
Participants
R.C. Agrawal (Inde)
Valia Anapliotou (Grèce)
Stefan Belishki (Bulgarie)
Giorgio Bonsanti (Italie)
Isabelle Brajer (Danemark)
Marjan Buyle (Belgique)
Jaime Cama Villafranca (Mexique)
Nikolas Charkiolakis (Grèce)
Rob Crèvecoeur (Pays Bas)
Luigi Dei (Italie)
Alberto Felici (Italie)
Vaios Ganitis (Grèce)
George Kavakas (Grèce)
Haris Lionis (Grèce)
Penelope Mavroudi (Grèce)
Vassilis Petropoulos (Grèce)
Michael Petzet (Allemagne)
Ursula Schädler-Saub (Allemagne)
Walter Schudel (Belgique)
Nimal de Silva (Sri Lanka)
Roland Silva (Sri Lanka)
Kirsten Trampedach (Danemark)
Ioannis Zervos (Grèce)