H@R! : Heritage at Risk



ANDORRE


Text in English

Située sur l'axe central pyrénéen, entre l'Espagne et la France, l'Andorre possède une superficie de 468 Km2 et son altitude moyenne avoisine les 2.000 m. Près des 9/10ème du sol y est de propriété publique, le reste étant constitué de propriétés privées. Ces dernières s'étendent sur les sols les plus fertiles situés soit en fond de vallée, soit au bas des versants.

Si le Moyen Âge a conçu cette exceptionnelle coprincipauté, le XXe siècle fut le cadre de son extraordinaire transformation. En effet, depuis, la construction de la première route et la mise en place du réseau électrique dans les années 30, mais, surtout, le boum touristique qui débuta dans les années 60 provoquèrent le désenclavement du pays ce qui induisit une radicale transformation de la structure de la population et de l'économie conjuguée, bien évidemment, à une profonde modification du territoire. En près de trois décennies, une communauté enclavée qui survivait au moyen d'une maigre agriculture et de l'élevage devint un moderne marché touristique tourné vers les services.

Ces mutations sont illustrées par des chiffres spectaculaires : de 5.000 habitants en 1940, la population passa à 35.000 en 1980 pour atteindre plus de 66.000 habitants en l'an 2000. La croissante demande de main d'oeuvre et les successives vagues d'immigration qui s'ensuivirent modifièrent la structure de la population. La population andorrane majoritaire dans les années trente ne représente plus de nos jours que 22% des habitants, ce qui est équivalent à la moitié de la communauté hispanique et ne représente que le double de la communauté portugaise.

Pour sa part, le territoire fut contraint de supporter, non sans dégâts, de grands changements provoqués par cette explosion économique et démographique. Faute de cadre législatif solide (en particulier le manque de plans d'aménagement et d'urbanisme, de loi du sol et de lois efficaces afin de protéger le patrimoine) ce boom qui comporta un nombre croissant d'interventions ne se fit pas sans laisser des traces douloureuses.

Au début du XXe, l'Andorre constituait une unité de patrimoine exceptionnelle, actuellement elle connaît de sérieux problèmes afin de parvenir simultanément à la gestion d'un fort taux d'accroissement - construction annuelle d'une superficie moyenne de 200.000 m2 depuis 1981, immatriculation de près de 4.500 véhicules par an et entrée de 9.500.000 de visiteurs en 1999 - et la mobilisation des efforts et des ressources nécessaires à l'identification, la sauvegarde et la mise en valeur de son patrimoine. Bien que le budget national ait doublé en dix ans, seul 6.100.000 $ sur un total de 218.000.000 $ (moins de 0,03%) furent affectés au ministère des affaires culturelles en l'an 2000, desquels 1.700.000 $ furent consacrés à la recherche, la conservation et la diffusion du patrimoine culturel.

Limité en ressources humaines et économiques, manqué d'un cadre législatif solide et trop souvent soumis à l'ambiguïté des compétences, le Service du Patrimoine Culturel, créé dans les années 60, n'a pas souvent eut la possibilité de mener à bien des politiques globales et à long terme qui eussent permit une action à la fois intégrée, planifiée et soutenue sur le patrimoine culturel andorran.

Bien qu'au cours de ces dernières années les communes aient participé davantage à la mise en valeur du patrimoine culturel, un grand travail reste à faire dans ce domaine : identifier et connaître le patrimoine, sensibiliser la population, mais aussi pousser les institutions à investir et s'engager dans ce domaine.

Au vu des dimensions du pays et de la conjoncture esquissée en introduction, trois cas génériques qui servent d'exemple aux trois menaces qui pèsent sur le patrimoine vont être présentés.

1. La pression de l'activité économique

Un important signal d'alerte est constitué par la disproportion entre la superficie construite - 200.000 m2 en moyenne depuis vingt ans, elle atteignit 411.000 m2 pour la seule année 1989 - et la réduite superficie potentiellement utilisable qui se réduit aux seul 45 Km2 de propriété privé qui pour la plus part sont inconstructibles. Si l'on tient en compte l'importante de la croissance et le fait que la transformation du paysage qui en découle est tributaire d'une consommation exagérée et d'une occupation désordonnée du territoire, la première menace est clairement définie.

Dans le cadre d'un marché libéral qui tient peu compte des intérêts communs et qui se régit par l'intérêt et le bénéfice immédiat, cette activité économique met en péril de façon permanente le patrimoine culturel sous ses diverses formes. Encore faut-il prendre en compte l'aspect proportionnel, cette menace devient relativement plus grave sur un territoire potentiellement réduit comme l'est l'andorran, le risque de produire des dommages irréversibles est nettement plus élevées.

Les paysages culturels de l'Andorre : le cas de la vallée du Madriu

En Andorre, l'une des vallées qui illustre le mieux le concept de paysage culturel (paysage évolutif) est sans doute la vallée du Madriu. Située dans la paroisse des Escaldes, elle est l'une des plus longue du pays. La rivière du Madriu s'écoule sur 1.800 m de dénivelé et la vallée s'ouvre au sud-ouest, c'est la dernière grande vallée andorrane non défigurée par un accès routier. Le seul chemin principal parcourt toute la vallée et permet de découvrir la grande richesse de la flore, de la faune et la beauté de ses vues. Le visiteur qui l'emprunte découvre bien vite de nombreuses traces qui révèlent la présence de l'homme et qui témoignent d'un système d'exploitation du terroir et des formes de vie révolues : bocages, bordes, réseau de murettes de contention et cabanes pastorales. L'exploitation des herbages et de la forêt a poussé les paysans a aménager cet espace en fonction des rythmes saisonniers.

Le promeneur averti y trouvera également les vestiges de l'industrie sidérurgique andorrane. Prospections minières, charbonnières et forge autant de diverses activités liées à la production dans les vallées entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Les premiers travaux d'électrification du pays y ont également laissé leur empreinte, canalisations et prises d'eau datant des années 30 en sont le témoignage.

La vallée du Madriu est donc porteuse d'identité puisqu'elle témoigne d'un ensemble de productions qui ne sont plus essentielles à la société andorrane. Il règne encore sur ce site un équilibre qui démontre la savante gestion du paysage par l'homme mais qui est menacé par les incessantes pressions exercées par certains propriétaires afin de construire une route. Le manque d'outils légaux ne peut retarder longtemps cette échéance. L'ouverture d'un accés pour les voitures signifiera sans aucun doute une rupture brutale de l'équilibre écologique, en premir lieu parce qu'elle permetra la pratique de cet exercice si cher aux andorrans contemporains: la construction sauvage et la recherche du bénéfice immédiat. Cette affirmation révèle, peut-être, le manque de confiance quant au capacités réelles des contemporains à renouveller les relations des hommes avec leur environnement tout en maintenant la qualité et la biodiversité de cette vallée.

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2. La vision " objectuelle " du patrimoine

Ce qui a été dit jusqu'à présent peut déjà expliquer en grande mesure le cheminement vers cette vision restreinte et réductionniste du patrimoine.
C'est là une seconde et grande menace. En effet, la " décontextualisation " entraîne d'une part l'isolement de l'objet " monumentalisé " et d'autre part la destruction d'un contexte riche en traces et relations et qui seul compléter le sens et élargir la compréhension du lieu dans son intégrité.
Cette attitude " objectuelle " convient aux intérêts économiques dominants car elle libère du territoire et minimise les contraintes; elle est à la fois favorisée par la flagrante absence d'un cadre législatif élémentaire. Elle constitue également une solution commode et facile pour l'Administration que évite ainsi la confrontation avec le lobby immobilier.
Cet isolement et cette réduction du patrimoine à une expression minimale renforcent et cultivent une forte et dangereuse ambiguïté du sens et des valeurs du patrimoine et contribuent à une certaine " déculturalisation " de la population à l'égard de celui-ci.

L'encadrement de l'objet historique - Le site de Santa Coloma : la porte de la vallée centrale

Au cours des cinquante dernières années, la Principauté d'Andorre a connu un spectaculaire phénomène d'urbanisation de l'espace rural, cette transformation ne peut être considérée comme définitive. Dans une moindre mesure, tous les fonds de vallée ont subit une mutation qui les a transformés en un paysage transitoire entre la ville et la campagne. Pendant cette période, sont apparues divers centres urbains qui pour s'installer ont tiré profit soit de l'ancien réseau vicinal, soit du parcellaire, soit du dénivelé ; un nombre fort réduit de ces implantations se fondent sur un projet de planification territoriale. Parmi la grande variété des cas existants, la vallée centrale d'Andorre est celle qui a subit la transformation la plus considérable. De nos jours, les anciens centres habités de Santa Coloma, d'Encorcés, du Fener, du Puy, d'Andorre la Vieille, des Vilars, d'Engordany, des Escaldes et d'Engolasters forment une nébuleuse urbaine qui regroupe près de 36.500 habitants. Cette métamorphose est un exemple d'occupation anarchique du sol et d'une inavouable volonté d'abuser du territoire.

Parmi les diverses zones constituant cette conurbation le secteur de Santa Coloma, qui totalise 3.000 habitants, a un intérêt particulier. Malgré qu'il soit affecté par l'évolution de la cité voisine d'Andorre la Vieille, il a conservé, en grande partie, son caractère agro-pastoral. De plus, sur ce secteur se regroupent les monuments préfeodaux et féodaux les plus emblématiques de l'histoire de la Principauté. Les recherches historiques conduites au sujet du Roc d'Enclar entre 1979 et 1996 ont éclairé partiellement ce passé. Les résultats obtenus ont permis de revaloriser l'église de Santa Coloma, celle de Sant Vicenç et le château d'Enclar. La valeur intrinsèque de ces monuments n'est pas suffisante afin de cerner la séquence évolutive qui embrasse une période qui s'étend de l'époque romaine jusqu'à l'époque féodale (Ier/XVIIIe siècle), seule la considération du secteur dans son ensemble le permet.

Dans le réseau d'étroites vallées qui forment le territoire andorran, la vallée centrale constituait simultanément la région la plus favorable à l'agriculture et la voie de passage obligée afin de rejoindre les vallées secondaires. Bien avant le chemin de fer, cette vallée était l'un des couloirs naturels qui reliait le nord et le sud des Pyrénées orientales. Pendant une longue période, le secteur de Santa Coloma, situé á l'extrême sud de la vallée centrale, fut tout a la fois l'une des portes d'accès à cette voie de communication et l'un de ses points de contrôle. Du changement d'ère au IIIe siècle, une première infrastructure militaire romaine, implantée afin de contrôler le passage, fut installée sur le puig qui surplombe le village. Entre la seconde moitié du IVe et le Ve siècle, elle fut utilisée pour imperméabiliser la chaîne pyrénéenne de l'avancée des peuples germaniques. Plus tard, l'ancienne présence romaine influa sur les autorités épiscopales lors du choix de l'emplacement des églises de Santa Coloma et de Sant Vicenç qui furent les premières églises implantées dans les Vallées en fin du VIIIe. Finalement, entre le IXe siècle et l'an 1288, les pouvoirs comtaux de la région utilisèrent le château d'Enclar pour asseoir une politique territoriale basée à la fois sur le besoin de vertébrer un large territoire et celui de prélever les excédents produits par les communautés andorranes. Outre ces monuments singuliers, la zone de Santa Coloma recèle également d'autres éléments, de moindre importance, qui font partie intégrante d'une Andorre ouverte sur les réalités européennes. A la limite sud de cette zone se trouve le village d'Aixovall (Ipso Vallo) qui laisse présupposer de l'existence, au moins au XIe siècle, d'un lieu de passage forcé matérialisé par une palissade et une porte. Au nord d'Aixovall, en direction de Santa Coloma se trouve le pont de la Margineda qui est l'un des rares témoignages de l'héritage roman civil conservé en Andorre. Sur ce lieu et en d'autres endroits du secteur sont aussi conservés les restes de chemins principaux et secondaires.

Depuis les années soixante un important travail de recherche historique et de restauration a été menée à bien en Andorre, ce qui permet d'admirer une partie représentative des monuments romains et féodaux abrités dans les vallées. Le secteur de Santa Coloma ne peut être désuni de cette politique culturelle mais, de la même manière que les autres zones de la Principauté qui présentent un intérêt historique, la quasi-inexistence d'un corpus juridique traitant du patrimoine culturel assimilable à celui qui existe au niveau européen réduit les interventions aux seuls monuments. Le contexte et les abords des monuments restent tributaires des impondérables et des premières nécessités.
En mai 1996 fut présenté le plan d'Urbanisme de la paroisse d'Andorre la Vieille qui inclu le secteur de Santa Coloma. La planification générale prévoit d'intégrer définitivement ce secteur à la grande nébuleuse urbaine de la vallée centrale. Dans un contexte général dans lequel le sol est un recours économique réduit, ce projet ne considère ce secteur que comme une réserve subordonnée aux besoins d'espace de la ville voisine. Même si l'on tient en compte la conservation des divers monuments et la rationalisation de certains des espaces naturels, le paysage urbain planifié tend à l'uniformisation et à la standardisation du fond de vallée sans tenir en compte la richesse et la variété des lieux.
Face à cette possibilité, la perte du caractère particulier de la zone périurbaine de Santa Coloma est à prévoir. C'est pourquoi nous proposons une intervention fondée sur les divers éléments et les structures héritées des successifs modelés culturaux qui caractérisèrent ce territoire. Ce travail, conçu d'une manière plus globalisante que la stricte conservation ou protection, implique d'identifier et tenir en compte les anciens modelés afin de les réutiliser comme support de la future urbanisation.

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3.- Le patrimoine " sans papiers "

C'est ce patrimoine qui n'existe pas aux effets légaux et administratifs, ni non plus pour la population ou les médias. C'est un patrimoine quasiment inconnu, ignoré, en définitive menacé impunément et en permanence.
Une grande menace pèse sur tout ce qui n'a pas le label de monument. Cette situation à haut risque qui peut produire des coupures importantes et irréversibles dans notre capital culturel et historique est la conséquence d'un nombre important d'enjeux et de circonstances que nous avons déjà évoqué. Nous pouvons cependant essayer d'identifier d'autres facteurs particuliers.

On constate, tout d'abord, une certaine focalisation sur tout ce qui est roman ou médiéval. En ignorant tout ce qui en rempli pas cette condition on tend a exiger une bonne dose d'ancienneté à des éléments culturels afin d'être considéré patrimoine.
D'autre part il n'existe aucune attitude de recherche, d'identification, de découverte, et d'analyse qui conduirait à la découverte et à la connaissance ce qui permetrait de retrouver l'importante quantité de réalités que recèle notre patrimoine.
Cette " homologation " du patrimoine par tranches, cette reconnaissance partielle et décontextualisée, contribue sans aucun doute à une analphabétisation de la population par rapport à son patrimoine et favorise la diffusion de l'image du " monument-standart " d'ailleurs fort peu pédagogique et non souhaitable.

Le patrimoine architectural du xxème siècle

Le XXème siècle a vu s'éteindre et diaparaître la figure du maçon traditionnel, et a vu naître les premières entreprises du bâtiment.
Dans la première du siècle, les derniers vieux maçons cohabitaient avec les premiers entrepreneurs. Ils alternerent la construction des modèles locaux, avec celle de bâtiments plus urbains qui impliquèrent l'apparition de nouveaux modèles et la naissance d'un souci évident pour la composition et la décoration. Les réalisations plus simples ont été l'oeuvre de ces maçons, d'autres ont été témoin des premières interventions d'architectes.
Dans un contexte dans lequel n'existait pas la préssion, pendant quelques années, fut produite le long des nouveaux axes routiers une architecture urbaine supportée par un urbanisme naissant que généraient les nouvelles routes et qui conduisit à l'éclatement rapide des limites et de la morphologie du hameau traditionnel en esquissant la future aglomération d'Andorra la Vella et les Escaldes.
Nous y retrouvons une architecture qui utilise les possibilités et la richesse des techniques du crépi, des stucs ou des sgraffites, mais aussi une architecture particulière qui se sert du granit taillé comme seul matériel pour résoudre les façades, surtout la principale.
Dans les deux cas il y a un phénomène d'importation de goûts, de techniques et, bien souvent, d'agents (tailleurs de pierre ou concepteurs). Cette période correspond aux premières vagues migratoires constituées surtout par des galiciens qui possédaient une grande tradition de la taille de pierre et des andalous qui provenaient, quelques fois, des environs des carrières andalouses. La main d'oeuvre bon marché de cette époque conjuguée à l'abondance et à la qualité du granit local ainsi que la profusion de chantiers dans les régions limitrophes françaises et espagnoles ont soutenu un courrant qui a laissé de nombreux et remarquables exemples.
Le patrimoine bâti dans la première moitié du siècle fut à la fois une expréssion architectonique et le riche témoin d'une période exceptionnelle de l'histoire andorranne récente. Il constitue un maillon essentiel, incontournable pour une lecture correcte de la transition entre la société traditionnelle et l'Andorre de nos jours.
Les réhabilitations de quelques uns de ces bâtiments n'effacent pas l'énorme risque qui les menace. Jusqu'à présent, aucun système de protection n'a été mis en place alors que quelques démolitions ont eu lieu sans que personne ne réagisse. Les quelques exemples d'architecture d'auteur (architectes voisins de renom tels que C. Martinell, Puig i Cadafalch ou J.M. Sostres) se trouvent dans la même situation. C'est au cours de la deuxième moitié du siècle que furent édifiées les oeuvres significatives des premières promotions d'architectes locaux.
La principale menace qui pèse sur ce patrimoine est précisément de ne pas être " patrimoine " aux yeux des contemporains, d'être un " sans papiers ", et par concéquent de pouvoir être exclu à n'importe quel moment. Il est donc urgent de faire découvrir ce patrimoine, de l'identifier, de l'inventorier et d'en stimuler l'analyse et l'étude car ce sont les conditions incontournables à sa survie.

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