Larochette - Disparition de l'habitat ancien

Le bourg est situé pratiquement au centre du Grand-Duché de Luxembourg, au bord de la "Petite Suisse" qui s'étend plus à l'est. Il est dominé par les vestiges d'un château fort, dont les parties les plus anciennes remontent à l'époque carolingienne. Une première fortification fut cependant aménagée dès l'âge protohistorique. Les seigneurs de Larochette étaient de fidèles vassaux des comtes de Luxembourg. Vers 1565, un incendie détruisit l'ensemble des édifices castraux répartis entre plusieurs familles. Le château ne fut plus reconstruit. Il a longtemps servi de carrière et de réserve de matériaux pour les maisons des particuliers. Depuis 1979, les vestiges sont gérés par l'Etat qui fait réaliser les travaux de consolidation et d'entretien nécessaires. Le domaine est accessible au public. La localité se blottit dans une étroite vallée aux pieds du château. Dès 1400, elle était protégée par une enceinte constituée notamment de deux murs permettant de verrouiller le vallon au nord-ouest et au sud-est, les autres côtés étant protégés par des massifs rocheux. Sous le règne du comte Jean l'Aveugle de Luxembourg, roi de Bohême (1296-1346), quatre métiers à tisser y avaient été installés. Ils devaient constituer le point de départ d'une industrie textile restée active jusqu'au 20e siècle.

Le tissu urbain du bourg, au moins dans la partie "intra muros" a été assez bien préservé jusqu'à présent. En raison de sa variété et de son authenticité il est d'un intérêt tout particulier pour l'ensemble du Luxembourg. Des maisons de journaliers, des bâtiments à caractère industriel ou agricole, des immeubles commerciaux, des habitations d'artisans et des résidences à caractère représentatif se côtoient et présentent un aspect fort harmonieux. Les pentes situées derrière les maisons sont aménagées en terrasses et servent de jardins.

Même si peu d'édifices constituent des monuments protégés, ils ont pu être assez bien conservés parce qu'ils sont restés habités. Le charme de la localité réside d'ailleurs surtout dans l'ensemble des bâtisses qui la constituent, même si quelques édifices possèdent un caractère exceptionnel.

Le monument de loin le plus intéressant est la maison de Roebé, autrefois située près de la porte inférieure de la cité. Son origine remonte probablement à la fin du 16e siècle, lorsque les officiers et les administrateurs au service des seigneurs locaux se faisaient construire des résidences adaptées à leur rang social. Peu à peu ceux-ci ont réussi à acquérir des parties de la seigneurie et à éclipser les anciens châtelains vivant en dehors de leur domaine. L'aspect actuel de la propriété de Roebé date en gros de 1725. Elle se compose d'un manoir flanqué d'une tour, de bâtiments agricoles et de jardins. Le tout est clôturé par un haut mur.

Lorsque l'Etat luxembourgeois a acquis le bien en 1993, il ne servait plus que de résidence d'été aux propriétaires. Par bonheur ceux-ci avaient limité leurs interventions au minimum nécessaire. Cette circonstance nous permet aujourd'hui d'admirer à l'intérieur de la demeure un escalier en colimaçon construit vers 1600, des dallages, des planchers en bois, des plafonds à stuc et un escalier monumental du 18e siècle, des carrelages et une cheminée néogothique du 19e etc.

Le manoir abritera prochainement le siège de l'administration communale. Les travaux de restauration seront réalisés par le Service des Sites et Monuments nationaux d'après des critères de conservation très stricts: pas d'ascenseur, pas de saignées dans les murs pour les conduites etc.. L'aménagement tiendra compte des résultats des nombreuses analyses concernant par exemple les couches picturales aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Les annexes accueilliront un foyer de jour pour personnes âgées et un centre pour jeunes. Quelques concessions ont été nécessaires pour permettre une utilisation optimale de cet espace situé au coeur de la localité: chauffage au sol, construction de salles souterraines dans une terrasse du jardin extérieur pour garantir l'éclairage du rez-de-chaussée voûté, percement de quelques ouvertures.

Dans l'ensemble, le domaine sera cependant préservé, son histoire restera lisible à travers les adaptations nécessaires. Grâce à l'initiative privée d'un amateur éclairé, une autre maison à caractère exceptionnel datée 1797 par un chronogramme et un millésime sera sauvée. Résidence d'industriel à l'origine, elle est devenue hôtel au 19e siècle. Malgré les transformations effectuées au cours des années, l'ensemble se présente dans un état de conservation fort satisfaisant. A l'extérieur subsistent même des vestiges d'ornements aux briques rouges en trompe-l'oeil. Un seul autre exemple du genre est connu au Luxembourg. Le premier étage conserve une très belle pièce avec un parquet remarquable en marqueterie et de belles portes néo-classiques. L'escalier en bois se développe du rez-de-chaussée jusqu'au grenier sur un plan ovale.

Le propriétaire restaurera la demeure, qui sera classée monument national, avant de se fixer sur sa destinée finale. La fonction future devra donc nécessairement s'adapter au cadre légué par le passé. Malheureusement nous sommes plus souvent confrontés à la situation inverse.

Si les immeubles prestigieux sont traités plus facilement avec respect, il n'en est pas de même pour d'autres objets tout aussi intéressants mais moins remarquables. Les grandes maisons et les unités plus réduites accolées deviennent de plus en plus le terrain de chasse privilégié des promoteurs immobiliers. La première vraie débâcle est actuellement en voie de réalisation.

En plein centre du bourg se situe un complexe immobilier important composé de plusieurs édifices. L'élément de loin le plus intéressant est sans doute une maison dont le pignon à pans coupés se trouve côté rue. Ce type de maison est plutôt rare au Luxembourg. Les encadrements des fenêtres du deuxième étage et une baie à montant central, aujourd'hui située à l'intérieur, signalent que cette partie date du 17e siècle. Le tout a été repris et unifié au 19e siècle. Les rez-de-chaussée abritaient des locaux commerciaux, alors que les étages servaient de logement.

L'ensemble sera démoli et remplacé par un bâtiment de "style" mensonger et trompeur sans aucun caractère.

Ce patrimoine n'est donc pas seulement en péril, il est condamné et il disparaît. Le cas est cependant symptomatique. Il faut craindre que l'opération menée à Larochette, en toute légalité et avec toutes les autorisations nécessaires, ne se répète régulièrement dans les années à venir. La conséquence de cette politique sera la disparition dans les petites villes de l'habitat ancien, la destruction d'un parcellaire et d'un tissu urbain plusieurs fois séculaires.

Les raisons de cette évolution, même si elles sont faciles à comprendre, se situent à plusieurs niveaux. L'une des causes principales est cependant à chercher dans l'absence d'une réglementation concernant les secteurs sauvegardés. Certes, ceux-ci sont prévus dans la loi de 1983 concernant la protection et la conservation des Sites et Monuments nationaux. Les dispositions légales n'ont cependant jamais été explicitées, ce qui les rend inapplicables. Il reste à espérer que la nouvelle loi, actuellement en préparation, donne plus de chances aux ensembles.

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