Étude de Cas - Églises

Alors que dans d'autres domaines et notamment en matière économique, les autorités Belges ont pris des mesures pour remédier à une situation difficile, mettant en place des réglementations spécifiques, rien n'est vraiment organisé pour faire face à la désaffection croissante des édifices du culte et aux problèmes qui y sont liés. Comme si le sujet ne pouvait être abordé.

La « crise » spirituelle qui touche l’Europe occidentale depuis une quarantaine d’années entraîne la diminution croissante de la pratique religieuse chrétienne avec, pour conséquence directe, la désaffection des lieux de culte, et principalement ceux du culte catholique. D'après des statistiques, la pratique du culte dominical en Belgique concernait 36 % de la population en 1967 pour seulement 18 % en 1990. À Bruxelles, cette pratique est passée de 12 % à 8,8 % entre 1980 et 1990.

Une analyse a été confiée en 1998 par la Ville de Charleroi à l'architecte Paul Petit. Cette étude montre que la ville de quelque 200.000 habitants ou 20 habitants à l'hectare, compte 71 églises et chapelles dont 51 à charge de la Ville pour 7.000 pratiquants réguliers. Pour effectuer les premiers travaux d'entretien indispensables, il faudrait consacrer un budget de 300 millions environ dans les dix prochaines années, soit le double du budget annuel de la ville pour ses bâtiments communaux.


Un Patrimoine Menacé, des îlots Stratégiques Délabrés

Les édifices du culte, vieux parfois de plus de dix siècles, constituent bien souvent le noyau d'un quartier, d'un village, d'une ville, le point de repère des croyants comme des non croyants. Dans bien des cas, il fait également partie du patrimoine historique et architectural et joue un rôle essentiel dans le développement touristique local. Il a survécu aux révolutions et aux nombreuses guerres, mais risque aujourd'hui de mourir lentement par négligence et abandon.

En Belgique, c'est au clergé que revient le soin d'organiser le culte, et aux fabriques d'église celui de gérer le temporel. Le nombre et la complexité des aspects juridiques et financiers assumés en partie par chacune de ces institutions rendent d'autant plus difficile la gestion de ces biens.

Depuis 1801, le Concordat impose aux communes, et donc à tous les citoyens, l'obligation de complémentarité, c’est-à-dire l'obligation de supporter les frais d'entretien, de restauration et de construction des églises lorsque les moyens des fabriques d'églises sont insuffisants.

Les édifices classés peuvent bénéficier en outre des subventions régionales généralement attribuées aux bâtiments accessibles au public, soit de 60 à 95% en Région wallonne selon le caractère exceptionnel de l'édifice, 40 % en Région bruxelloise et 90% en Région Flamande.

Les joyaux de notre patrimoine comme la cathédrale de Tournai, reconnue patrimoine mondial par l'UNESCO, ou la cathédrale de Bruxelles, qui accueille toutes les grandes manifestations nationales comme les mariages royaux, les Te Deum annuels, nécessitent des sommes très importantes pour leur entretien et leur restauration. Personne ne discute leur qualité architecturale et leur valeur symbolique, ni l'effort financier qu'il faut consentir. Mais à côté de ces bâtiments exceptionnels, combien d'églises ne sont-elles pas inoccupées, abandonnées ?

En ces temps de réductions d'emploi, de restriction du financement de l'enseignement..., les autorités religieuses sont conscientes de la nécéssite de traiter cette situation et demettre a jour la législation âgée de presque deux siècles qui organise l’entretien des bâtiments publics affectés au culte.

L'attitude du Vatican n'est pas faite pour favoriser l'ouverture. Citant un document daté de décembre 87, le journal "Le Monde" rapportait que "les églises ne peuvent être considérées comme des lieux publics" et qu'en dehors de la pratique religieuse, "elles ne peuvent accueillir que des concerts de musique sacrée et religieuse". Heuresement,les autorites religiueses de Belgique ont une attitude plus ouverte. Sous des formes diverses, il y a des examples d’accueil de certaine manifestations publiques.

Pourtant, l’abandon progressif des églises et la recherche d’une nouvelle affectation adaptée est une problématique générale en Europe occidentale.


Une Sélection Indispensable

Alors que l'on établit des inventaires thématiques pour d'autres catégories de patrimoine (maisons communales, châteaux d'eau, ...), ne devrait-on pas jeter un regard critique sur cette catégorie particulière que sont les édifices du culte, qu'ils soient ou non classés. Ils ont été, en effet, parmi les premiers à être inscrits dans la liste des biens classés et y sont très, même peut-être trop, largement représentés. La remise en cause de toutes les listes existantes permettrait peut-être de déboucher sur une vision plus globale des opérations à mener, allant de l'entretien et la conservation de la fonction d'origine à la reconversion.


La Reconversion

Comme pour tous les autres bâtiments, la survie des églises est liée à une reconversion intelligente qui respecte la structure, l'espace existants.

Des transformations en logements multiples, voire en hôtel, ne peuvent constituer une solution satisfaisante puisqu'elles modifient de manière quasi irréversible la structure spatiale. Seules les façades sont conservées : on pourrait qualifier ces opérations de "façadisme", non par destruction mais par négation de l'espace intérieur au profit d'un aménagement qui lui est totalement étranger.

Des exemples de reconversion en espaces socioculturels existent également en Belgique : salle d'exposition de la chapelle de Boendael à Bruxelles, salle de concert ou de théâtre à la chapelle des Brigittines également à Bruxelles, ou salles de réunions au Vertbois à Liège... Mais ces fonctions "classiques" ne peuvent se multiplier à l'infini.

Conformément à sa mission de recherche de nouvelles fonctions pour des édifices de valeur patrimoniale, l'Institut du Patrimoine wallon prévoit de reconvertir deux églises situées à Tournai, l'église de la Madeleine en Musée de l'imprimerie, l'église Sainte-Marguerite en salle de concert.

Par contre, la reconversion de l'église du Sacré-Cœur à Bruges en salle de spectacles est très controversée.

Principalement publiques, ces nouvelles fonctions mettent ainsi à la disposition des citoyens ce qu'ils ont contribué à entretenir. On ne peut que s'en réjouir.

Le plus difficile reste, et c'est là que la rôle du maître d'œuvre est essentiel, de respecter la qualité de l'espace et l'esprit du lieu.

Pour diversifier encore les possibilités d'affectation publique ou semi-publique, ne pourrait-on envisager d'utiliser ces édifices pour des réunions familiales (anniversaires, mariages, ...) ou des réunions d'associations sans but lucratif ? Les mouvements culturels et autres acteurs de la vie associative sont souvent à la recherche de locaux de réunion. Ils pourraient trouver dans les anciens lieux de culte un espace à la fois propice à une réflexion intellectuelle et spirituelle, et conçu pour des activités de groupes.


Un Mobilier Immeuble par Destination

Souvent conçu en fonction du lieu pour lequel il était destiné, le patrimoine mobilier (statue, tableau, retable, chandelier,...) ou immobilier par destination (autel, confessionnal, fonts baptismaux, orgues,...) devrait idéalement être conservé in situ, à la fois par souci de cohérence et de respect du patrimoine et aussi parce qu'il contribue très largement à l'esprit du lieu.

La plupart des problèmes liés au patrimoine immobilier touche également le patrimoine mobilier. Rechercher des solutions pour le patrimoine immobilier peut parfois offrir des possibilités de conservation du patrimoine mobilier.

Occupé, un bâtiment est par le fait même entretenu et surveillé. Ne pourrait-on dès lors envisager de maintenir dans les lieux une partie au moins du patrimoine mobilier qui y est attaché, même si l'édifice n’est plus affecté au culte ? Moyennant des conditions à définir entre les parties (l'occupant et le propriétaire des lieux), cette cohabitation entre certaines activités et un patrimoine mobilier permettrait de le maintenir dans un lieu pour lequel, très souvent, il a été créé, de le laisser accessible au public, d'éviter d'encombrer les musées par des objets trop grands et de le sauvegarder.


Des Propositions Responsables du Conseil de L'Europe

En 1989 déjà, le Conseil de l'Europe publiait un rapport sur "les édifices religieux désaffectés". L'étude de la situation en Europe, tant à l'Est qu'à l'Ouest, et l'examen plus approfondi du cas de l'Italie a permis de poser clairement le problème et d'étudier des propositions judicieuses bien qu'encore peu mises en pratique.

L'Assemblée du 9 mai 1989, constatant le risque encouru par les édifices religieux désaffectés, et consciente de leur nombre croissant, proposait notamment dans sa Résolution 916 : "d'éviter, sauf dans le cas présentant un intérêt architectural, historique ou commémoratif exceptionnel, la conservation des édifices religieux à l'état de ruine"(iv), "d'encourager des projets de réutilisation et de réadaptation qui ne soient pas incompatibles avec la fonction primitive de l'édifice et qui ne transforment pas de façon irréversible sa structure d'origine"(v) ou encore "d'encourager une utilisation plus imaginative des édifices religieux existants" (vii).


Sauvegarder le Sens du Lieu

Quelles que soient ses opinions philosophiques, chacun reconnaît que le patrimoine religieux est indissociable de l'histoire et de l'histoire de l'art de notre société.

Peut-on dès lors le laisser dépérir lentement, faute d'avoir eu à temps une attitude responsable et le courage d'affronter un sujet délicat ?

Ce n'est qu'en opérant la synthèse entre les dimensions spirituelle, économique et patrimoniale des édifices du culte, que l'on pourra aboutir à des solutions adaptées au contexte social et économique actuel, qui ne soient pas uniquement mercantiles ou dépourvues de sens.

ICOMOS Belgique


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